Redonner vie à une maison endormie est un pari audacieux, mais quand il s’agit de parfumerie, c’est aussi une forme de poésie. Fondée en 1827, la Maison Violet renaît aujourd’hui sous l’impulsion de trois passionnés : Anthony Toulemonde, Paul Richardot et Victorien Sirot. Leur ambition ? Faire vibrer à nouveau cette voix singulière du patrimoine olfactif français, en respectant son héritage tout en l’ancrant pleinement dans le présent.
Avec élégance et exigence, ils ont redonné corps à Maison Violet, en insufflant à chaque création un mélange subtil de mémoire, de sens et d’émotion. Leur approche défend une parfumerie à taille humaine, consciente, mais surtout profondément poétique.
Dans cet entretien mené avec Anthony Toulemonde, cofondateur, nous revenons sur les origines de cette renaissance, les choix créatifs du trio, la complicité avec la parfumeuse Nathalie Lorson, et la vision d’un luxe moderne, plus intime et durable.

Amalgame :Vous souvenez-vous du tout premier flacon Violet que vous avez tenu entre vos mains ? Que vous a-t-il raconté, à sa manière silencieuse ?
Anthony : Le tout premier flacon que nous avons tenu entre nos mains était un flacon de Sketch. Il a provoqué de l’excitation. C’était comme tenir un fragment d’histoire. On avait hâte de l’ouvrir, de sentir ce qu’il renfermait, de voyager dans le temps à travers son parfum. On s’imaginait les clientes et clients poussant la porte d’une boutique Violet, il y a un siècle, repartant avec ce même flacon dans les mains.
Amalgame : Maison Violet a deux siècles d’histoire et pourtant, elle parle incroyablement bien à notre époque. Qu’est-ce qui, selon vous, la rend si actuelle ?
Anthony : Peut-être parce que Maison Violet incarne quelque chose de profondément intemporel : l’élégance et la poésie. Il y a dans Violet une forme de lenteur assumée, une attention délicate portée aux détails, aux émotions, au beau. Et dans un monde où tout va toujours plus vite, cette douceur devient presque un acte de résistance. Sa modernité s’exprime aussi dans son esthétique et dans son engagement environnemental.
HÉRITAGE & RENAISSANCE
Amalgame : Pourquoi avoir choisi de redonner vie à une maison oubliée plutôt que de créer votre propre marque ex nihilo ?
Anthony : Parce qu’on ne fait pas toujours mieux en partant de zéro. Avec Violet, il y avait déjà une âme, une passion à raviver, une histoire à réactiver. On ne voulait pas simplement lancer une marque, on voulait raconter quelque chose de fort. Ce que la maison incarnait à l’époque correspondait étonnamment bien à ce que nous voulions créer : des parfums qui célèbrent la beauté de l’instant, avec poésie, profondeur et émotion.
Amalgame : Comment avez-vous nourri cette enquête presque archéologique autour de la Maison Violet ? Avez-vous une anecdote de « trésor retrouvé » qui vous a particulièrement marqué ?
Anthony : C’était une véritable chasse aux indices. On a passé des heures dans les archives de l’INPI, dans les bibliothèques, chez des collectionneurs, sur des brocantes… Un moment particulièrement marquant a été la découverte d’un flacon de Nuée Bleue lors d’une vente aux enchères. À l’intérieur, on a trouvé une petite notice qui présentait la maison comme « toujours avant-gardiste et résolument moderne ». Ce fragment oublié du passé a été une révélation. Il nous a confortés dans l’idée que la faire renaître ne devait pas être un exercice de nostalgie figée, mais un prolongement vivant : comme si Violet n’avait jamais disparu et avait continué à se réinventer avec son temps.
Amalgame : En l’absence de formules originales, comment avez-vous défini la “signature olfactive” de Violet ? Quelles influences ont guidé vos choix ?
Anthony : On s’est appuyés sur l’esprit plus que sur la lettre. Ce qu’on cherchait à capter, c’était une atmosphère : une douceur texturée, un classicisme revisité, une élégance intemporelle. On voulait préserver la poésie singulière qui émanait de Maison Violet, cette capacité à faire rêver, à évoquer des émotions à travers le parfum. Les matières premières nobles et riches, les facettes poudrées, les touches un peu rétro mais toujours raffinées nous ont guidés. Et puis, beaucoup d’écoute mutuelle, entre nous et avec les parfumeurs.
CRÉATION & INSPIRATION
Amalgame : Qu’est-ce qui déclenche chez vous l’envie de créer une nouvelle senteur ? Un mot, une émotion, une matière, une époque ?
Anthony : Beaucoup de choses nourrissent notre inspiration. Parfois, ce sont les matières premières elles-mêmes qui nous parlent. Parfois, c’est l’esprit de parfums du passé qui nous guide. D’autres fois encore, c’est un instant suspendu, une atmosphère, une émotion fugace que l’on cherche à retranscrire. Les anciens noms de parfums de la Maison ont également été une source précieuse pour la collection Héritage, avec leurs sonorités poétiques, leurs promesses évocatrices. Pour Rêver, par exemple, est né d’un besoin de douceur et d’évasion. À travers ce nom, on a voulu suggérer un univers onirique, enveloppant, presque comme un cocon hors du temps.
Amalgame : Comment s’est déroulée la collaboration avec Nathalie Lorson ? Qu’apporte-t-elle à votre trio ?
Anthony : Avec Nathalie, nous partageons un langage commun. Très vite, une vision claire se dessine, presque naturellement. Elle a cette capacité précieuse à traduire nos idées, nos émotions, en formules justes et sensibles. Elle est également force de proposition, toujours prête à enrichir la création de sa propre lecture. Elle comprend profondément l’ADN de Violet, et y insuffle sa signature avec finesse. C’est une collaboration fluide, sincère, qui repose sur la confiance et l’écoute mutuelle.
Amalgame : Avec “Pour rêver”, votre dernière création, vous flirtez encore une fois avec l’univers poudré et nostalgique. Quelle histoire avez-vous voulu raconter cette fois ?
Anthony : Celle d’un refuge. D’un monde intérieur doux, feutré, réconfortant. Pour Rêver est une invitation à suspendre le temps, à s’offrir une parenthèse intime. Le parfum évoque des matières moelleuses, des lumières tamisées, un cocon mental. C’est aussi un hommage à ce que le parfum a toujours su offrir : une échappée belle, un accès direct à l’imaginaire. Une façon, toute simple et essentielle, de faire rêver les gens.
VALEURS & ENGAGEMENT
Amalgame : Votre discours sur l’éthique et la durabilité est fort. Quelles actions concrètes avez-vous mises en place pour rester fidèles à ces valeurs ?
Anthony : Nous privilégions des partenaires locaux et une production française dès que cela est possible. Nos packagings sont éco-conçus, pensés pour durer tout en limitant l’impact environnemental. Nous travaillons avec des fournisseurs responsables et réduisons au maximum les emballages superflus. Nos flacons, par exemple, sont fabriqués à partir de verre recyclé et ont été volontairement affinés. Cette réduction de matière permet non seulement d’alléger l’impact de la production, mais aussi celui du transport, grâce à un poids plus léger. C’est une question de cohérence. Chaque choix, chaque détail doit être en accord avec nos valeurs : célébrer la beauté, oui, mais jamais au détriment du bon sens ou de l’avenir.
Amalgame : Comment réconcilier, selon vous, excellence artisanale, écoresponsabilité et désir de luxe ?
Anthony : Tout dépend de ce que l’on entend par luxe. Chacun en a sa propre définition, mais pour nous, le luxe n’a pas besoin d’être ostentatoire. Au contraire, il peut être discret, intime, presque confidentiel, quelque chose de précieux que l’on garde pour soi. L’excellence artisanale et la qualité des matières sont au cœur de cette définition. Quand l’essence de ce que l’on propose est sincère et qualitatif, il n’est pas nécessaire de surcharger le tout de fioritures. Parfois, c’est même l’inverse : trop d’artifice peut masquer l’essence du produit. Dans cette approche, écoresponsabilité et luxe ne sont pas opposés, ils peuvent se renforcer mutuellement. En épurant, en allant à l’essentiel, en choisissant des partenaires et des matériaux avec exigence, on trouve une forme d’élégance durable. Ce n’est pas un luxe moins désirable, c’est un luxe plus conscient. Ce n’est peut-être pas une vision universelle, mais elle nous paraît juste. Et elle nous pousse à explorer d’autres formes de créativité, plus sobres, plus responsables… mais tout aussi poétiques.
VISION & AMBITION
Amalgame : Maison Violet se veut “un mouvement pour l’expression authentique”. En quoi le parfum est-il, pour vous, un vecteur d’identité ?
Anthony : Parce qu’il touche à quelque chose de très intime, et de très instinctif. Le parfum, c’est une manière d’occuper l’espace sans mots. Il dit qui on est, ou qui on voudrait être. Il y a peu de choses aussi puissantes pour affirmer, ou révéler, une identité.
Amalgame : Comment rêvez-vous le futur de la parfumerie artistique ? Plus engagé, plus sensoriel, plus intime ?
Anthony : Plus libre, surtout. Moins dictée par les tendances, plus connectée à des récits personnels. On espère une parfumerie qui écoute, qui prend le temps, qui ose les partis pris. Moins “marketing”, plus vibrante.
Amalgame : Si vous pouviez faire revivre une époque olfactive « un instant suspendu dans le temps », lequel choisiriez-vous ? Et pourquoi ?
Anthony : Les années 70. Pas si lointaines, mais sans doute l’un des âges d’or de la parfumerie. Une époque où la synthèse avait ouvert un nouveau champ des possibles, et où la créativité foisonnait, libre, audacieuse, presque effervescente.
POUR TERMINER SUR UNE NOTE SENSORIELLE
Amalgame : Quel parfum porterait aujourd’hui l’impératrice Eugénie, si elle entrait dans votre boutique ?
Anthony : Probablement Un Air d’Apogée. Ce côté cuiré, poudré, aristocratique, mais sans ostentation. Un parfum qui a de l’allure, du caractère, et un sillage addictif. Parfait pour une impératrice ou un empereur moderne.
Amalgame : Un ingrédient fétiche ou tabou que vous n’avez pas encore exploré… mais qui vous obsède ?
Anthony : On aimerait justement découvrir un ingrédient à la fois novateur et doté de vraies qualités olfactives, quelque chose qui ouvrirait un nouveau territoire d’expression. Pour l’instant, aucun ne s’est vraiment imposé à nous, mais c’est une quête qui nous stimule. Le oud pourrait également être une piste intéressante. Bien qu’il soit aujourd’hui très présent, on aimerait l’aborder à la manière de Violet : avec délicatesse, en l’éloignant de son image brute et saturée, pour en révéler une facette plus fine.
Une maison du passé qui éclaire le présent — et inspire l’avenir
À travers les mots d’Anthony Toulemonde, une chose est claire : Maison Violet ne cherche pas à raviver la nostalgie, mais à prolonger une histoire avec justesse. Entre fidélité aux valeurs fondatrices et désir sincère de réinventer les codes, le trio imprime sa signature sur une parfumerie de plus en plus sensorielle, narrative et consciente.
Dans un secteur souvent saturé de storytelling forcé et d’images standardisées, Maison Violet cultive une voix singulière, presque à contretemps — celle d’un luxe discret, mais infiniment présent. Un luxe qui touche au cœur, qui laisse une trace, et qui rappelle que le parfum, plus qu’un geste, est un langage.
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